LES TÉNÈBRES
Dans les caveaux d'insondable tristesse
Où le Destin m'a déjà relégué ;
Où jamais n'entre un rayon rose et gai ;
Où, seul avec la Nuit, maussade hôtesse,
Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur
Condamne à peindre, hélas ! sur les ténèbres ;
Où, cuisinier aux appétits funèbres,
Je fais bouillir et je mange mon coeur,
Par instants brille, et s'allonge, et s'étale
Un spectre fait de grâce et de splendeur.
A sa rêveuse allure orientale,
Quand il atteint sa totale grandeur,
Je reconnais ma belle visiteuse :
C'est Elle ! noire et pourtant lumineuse.
Quand il atteint sa totale grandeur,
Je reconnais ma belle visiteuse:
C'est Elle! noire et pourtant lumineuse.
Charles BAUDELAIRE
1821 - 1867
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Picasso
1921
(...)
ô compagne du ténébreux
entends ce qu’écoute sa cendre
afin de mieux céder au feu :
les eaux abondantes descendre
aux degrés d’herbes et de roche
et les premiers oiseaux louer
la toujours plus longue journée
la lumière toujours plus proche
Philippe Jaccottet
"Les ombres errantes"
François Couperin
Aujourd'hui nous sommes aveugles parce que, de nos plus affreux songes, l'obscurite hostile semble avoir envahi les jours, et comme l'encre de la seiche avoir teinte de noir toute la mer. Les terreurs qui étaient enfouies en eux jusqu'ici, et que l'aube venait dissiper d'un léger mouvement d'ailes, de plumes, en très grande foule ont envahi les rues, les corridors, les chemins éclairés. Ouvrir les yeux, allumer la lampe ne suffit plus à les chasser.
L'Obscurité
Philippe Jaccottet
2021
![](https://static.wixstatic.com/media/8b74fa_cd226c579bdb4e559da1de2d87bfec0a~mv2.png/v1/fill/w_319,h_267,al_c,q_85,enc_auto/8b74fa_cd226c579bdb4e559da1de2d87bfec0a~mv2.png)
Paysage de midi avant l’orage
1921
Henri Matisse
L’ORAGE
Le ciel s’est enténébré,
Nul souffle n’anime l’air,
Il semblerait que la terre
ait du mal à respirer.
Les animaux dans l’étable
Geignent, en proie de la peur,
Et le chien du laboureur
S’est blotti dessous la table
Soudain, un trait aveuglant
S’en vient déchirer l’éther,
Et le fracas des tonnerres
Se déchaîne, véhément.
Tout est en émoi aux cieux,
Et le tumulte y est tel
Qu’on dirait d’une querelle
Où se gourment tous les dieux.
Une intarissable pluie
Bat le sol à grand tapage
Et sa colère saccage
L’espérance des épis.
Le berger et la bergère,
abandonnant leurs brebis,
Ont couru chercher abri
Dans un antre tutélaire.
Les pitoyables agnelles
Se piétinent, affolées,
Et, sans plus s’en soucier,
Leurs mères craintives bêlent.
Mais voici bien que l’orage
Part, comme il est arrivé.
Sans doute il s’en va porter
ailleurs ses bruyantes rages.
A peine si l’on entend,
Timide, dans le lointain,
Comme un adieu incertain,
Un ultime grondement.
Tout est paix, tout est clarté,
Les colombes s’entrebaisent,
La terre soupire d’aise
Dans le calme retrouvé.
La très gracieuse Iris
Se plaît à faire flotter
Son écharpe diaprée,
ET LE CIEL, DE NOUVEAU, RIT.
Théophile de Viau
1590 - 1626
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Henri Matisse
1921
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